[hrp]C'est délicat, donc on devrait attendre l'approbation de la communauté avant de pousser plus avant avec cette initiative que je soumets comme une suggestion. Je recommande de ne pas répondre avant d'en avoir discuté un peu dans la section Commentaire et brouillon RP à propos des forums RP (http://www.turambar-uo.ca/smf/index.php?topic=15431.0), étant donné cet état de fait. Je pense ceci dit que c'est une piste intéressante et riche, et je crois y avoir consacré assez de recherche pour l'appuyer, même si c'est une pente glissante dans un milieu puriste comme le nôtre étant donné que c'est carrément du nouveau.[/hrp]
Pour revenir au pays de Bree, Thrond choisit de suivre le Baranduin. Mu par la peur de la honte, la vue des petites choses joyeuses des voyages manqua de l'égayer et son regard rembruni s'accrochait plutôt aux choses utiles. À sa grande surprise, il fit un jour une rencontre qui le laisserait à la fois troublé et résolu pour le reste de son périple.
On raconte qu'elle-même se fut nommée Akašân, « celle qui dicte » en valarin, mais on lui avait fourni maints noms au cours des temps de naguère et jadis. Bien que les plus récents ne purent survivre jusqu'en nos jours, le mythe dont ils étaient issus fait encore écho dans les contes. Ainsi, au Rohan, chez les Nains et au sud, on l'appela d'un sens commun, Awiergan, Azhanmên et Agannâlo, tous faisant plus ou moins référence à la Mort, mais ce sont ses premiers noms qui furent d'usage, ceux que les Eldar lui donnèrent, Asciell ou plutôt Asquiël, telle qu'elle fut nommée d'abord par les Noldor, nom qui se serait déformé depuis.
Si Askiel était à Námo ce qu'Olórin était à Manwë, alors l'Iluisa avait à assumer au Quatrième âge la mission confiée aux Istari deux mille ans plus tôt. Encore que le Pèlerin Gris se rendit en Terre du Milieu à la demande de son maître, on dit que l'oracle prophétisa sa propre venue et alla de son chef.
Car c'est en les Hommes que se fondaient tous les espoirs et les peurs des temps présent et à venir, ainsi qu'entre leurs mains, l'avenir de la Terre du Milieu. Or, la principale crainte pour les Puissants était de se laisser distraire par leurs lubies, leurs élucubrations et leurs excès, provoquant la venue de Dagor Dagorath, la Bataille des Batailles, par manque de vigilance.
Alors, il n'y avait nulle certitude – y en eut-il jamais? – à savoir si pour chacun il y aurait une place dans le Monde Renouvelé. Même les Valar pouvaient n'en rien connaître.
Les Hommes n'avaient pas à déterminer l'avenir de tout Arda.
Lorsqu'elle se fut présentée à lui, Askiel vit Thrond ployer sous la terreur de son imminente éradication, à l'instar des pères de ses pères sous le marteau de Mahal, la reconnaissant tout à l'heure comme l'ultime Ombre et convaincu que le moment était venu pour lui de rejoindre les siens au-delà de la Grande Mer. Bien qu'il n'en était rien, et comme elle n'avait point appris auprès de Nienna et, de ce fait, que la compassion ne lui avait pas été enseignée, l'Iluisa avait eu pour plan d'utiliser cet instant afin de rallier le nain à sa cause.
« Raconte-nous l'histoire, Telgor! », s'était exclamé un enfant agrippé à ses propres genoux comme à un coussin, assis là dans l'herbe taillée entourant le puit.
À sa suite s'écrièrent quelques-uns, qui piquèrent la curiosité d'un autre en corvée de porter de l'eau.
Tout aussi soudainement, un gros chien à robe bleue jappa, et le silence fut – sauf un petit rire contenu du petit Tom, qui aimait bien entendre la voix grave du vieux cabot. Alors, le nain tapota chaleureusement la tête de l'animal et de sa main guida son museau jusqu'au sol.
L'histoire était une légende parvenue nouvellement aux oreilles de Thrond. D'ordinaire, il racontait plutôt les anecdotes de ses chasses. Cela expliquait la récente crue de sa popularité auprès des enfants. Les pères de leurs pères juraient parfois par lui dans le voisinage. Après tout, il y avait déjà bien trois générations d'hommes qu'il faisait partie des meubles.
« Même qu'une fois, il a été attaqué par un ours! », disait des fois le petit Laurier à Beaupré, juste au cas où, qui le tenait de son père.
Bien conscient qu'il n'aurait de répit avant d'avoir comblé la demande et que, à terme, l'heure du thé en serait passée, le conteur s'arrangea pour ramener de quoi boire convenablement tout en contant. Installé de belle manière, il se fit aller le verbe. Il était notoire qu'il ponctue justement ses récits de tons fort à propos et que ses yeux, d'ordinaire d'allure taciturne, s'écarquillent alors qu'il terminait doucement quelque phrase merveilleuse. Parfois tellement engagé, il lui arrivait même de s'avancer, posant ses coudes sur ses genoux et joignant ses mains, voire de cesser de flatter son chien pour subitement envoyer les mains au ciel avant d'être ramené à l'ordre par son compagnon de chasse.
« Voici donc la très joyeuse et très plaisante histoire du gentil seigneur, le bon chevalier sans peur et sans reproche. Il était une fois, au temps jadis, un jeune homme vaillant qui n'aimait pas la guerre. Lui qui préférait les connaissances subtiles et les traditions s'était attiré la sympathie d'un grand sage et le courroux de son propre père.
Ores, la guerre vint le cueillir de son confort et il fut fait homme d'armes. Malgré tout, il se fit une renommée pour ses hauts faits et s'attira l'amour de ses soldats. »
Le nain prit maintes pauses et revint souvent sur des détails antérieurs, donnant une allure décousue à son conte, mais les yeux suspendus à ses lèvres l'intimaient de toujours poursuivre.
« À la cité des étoiles, il fit montre de toute son adresse et son endurance. Alors que l'armée des hommes était défaite et battait en retraite, le chevalier tint le pont du salut. Ce pont était si étroit qu'il imposait à l'Ennemi de présenter ses éléments à occire un à un devant lui. Il fallut les supplications de plusieurs de ses compagnons pour qu'il accepte de leur laisser le relais. Atteint dans le dos par l'Ombre Noire, il tomba et la rumeur de sa chute parcouru tant les camps de ses alliés que ceux de ses ennemis, tellement il fut vertueux de son vivant.
Enfin, c'est ce qu'on en dit. Autrefois, c'était autrefois et aujourd'hui est un autre temps... »
En silence, les enfants demeurèrent pensifs et souriants. Devinant bien qu'il s'agissait là de la formulette de fin, le jeune porteur d'eau questionna Thrond quant à la cécité de son chien.
« Ah! Mais ça, c'est une autre histoire! », rétorqua le conteur.
La mère du jeune en question apparu à ce moment, en colère, mi- soulagée, mi- attendrie. Elle-même avait déjà eu l'oreille pour les contes du vieux nain. Alors, tous s'en furent souper.
« ...et c'est ainsi que ce bon vieux cabot n'y reverrait plus. », concluait alors Thrond, les lèvres et le cœur pincés, flattant la nuque de son camarade avec une tendre vigueur, l'œil reconnaissant.
Devant le silence du conteur, les gamins s'étaient tus. C'était évidemment par imitation, ils n'avaient assurément pas encore connaissance de ces usages.
« Parles-nous encore du preux chevalier, Telgor! », dit l'un d'entre eux, que le rituel vint à agacer.
La cacophonie! Chacun se réclama digne héritier du titre, des défis et des duels fusèrent de toutes parts et les cris et les rires se mêlèrent aux aboiements. Alors que la poussière retombait, le nain terminait de manger une pomme dont il ne restait plus que la tige. Le chien qui avait jappé tout son saoul lâcha un soufflement sec avant de regagner sa place. Le conte pouvait commencer.
« C'était dans le temps où les rois menaient des batailles et l'avenir était encore incertain. En ces temps-là, les soldats se cramponnaient à la valeur de leurs chefs et n'acceptaient d'être menés que par les meilleurs. C'était un âge sombre où, même souverain, il fallait se montrer droit ou périr.
C'est pourquoi, un jour, un roi se mit en quête d'avoir l'appui du plus vaillant des chevaliers. Il ne pouvait pas être un quelconque cavalier, alors naturellement, il fallut bien que ce fusse le meilleur, notre bien aimé, qui prit congé du chemin de la guerre à sa demande.
Pour sceller le tout, le roi avait prévu une cérémonie symbolique de couronnement. Alors, tous ses sujets le suivraient jusque dans les terres de cendres et les steppes empoisonnées, assurément. Tout avait été soigneusement et pompeusement paré. Après tout, ce genre d'événements était l'une des rares appartenances du peuple. »
Cette fois-là, dans l'histoire, les festivités avaient duré toute une semaine. Celle d'avant, c'était un mois, mais les enfants n'en auraient pas eu la patience. Toujours est-il qu'en finissant sa description de la chose, il apprêta l'arrivée de sa chute.
« C'est donc ainsi qu'il se fait que le chevalier sans peur et sans reproche adouba un roi. »
Il l'avait dit avec tant de contentement que les petits s'exclamèrent par réflexe. Au même moment, un jeunot du voisinage arriva en trombe, clamant avoir fait la plus grande découverte de l'époque au marché et, vitement, de l'assistance il ne resta plus que Tom.
« Dis, Telgor, que signifie «adouber» ?», demanda-t-il au bout d'un instant.
En guise de réponse, le nain sourit sans mot dire. La chose l'embarrassant, le gamin se détourna et s'en fut et Thrond retrouva son impavide quiétude.
Au moulin, Laurier taquinait l'âne en service, en attendant que le bonhomme Beaupré sourde. Comme le voulait une routine tenace, cela ne tarda pas. Le gamin avait derrière la tête une question qui ne le confortait guère, bien au contraire, mais son paternel n'était manifestement pas disposé à prendre le temps d'y répondre. De toute façon, il était encore trop jeune pour contribuer.
L'ancien, témoin, héla le petit. Ensemble, ils s'éloignèrent pour regagner le village.
« Pourquoi monsieur Telgor est toujours à faire des en-cas, grand-père? », s'enquit le jeunot, pressé par son aïeul de partager son émoi.
Connaisseur, le vieil homme savait bien qu'il ne s'agissait pas là de la vraie question, bien qu'il prit tout le temps nécessaire à y répondre proprement. Selon lui, le nain était mu par une sombre crainte, celle d'un destin maudit relégué de père en fils depuis des temps anciens. Le sort de sa malheureuse lignée aurait été jeté par quelque ver géant, tel qu'il en rampait encore avant le retour du Roi.
Alors forcés à l'exil, hors de leurs salles secrètes, les siens eurent à souffrir les maux du monde. Entre les guerres contre les orques et les attaques de dragons, c'est coup sur coup deux hivers terribles qui auraient eu raison de ses ancêtres, tellement infâmes qu'on les eut nommés respectivement le Long Hiver et le Rude Hiver.
À l'en croire, c'était en prévision d'un nouvel hiver d'exception que le vieux conteur faisait provisions.
Tenaillé et insatisfait, le petit remercia son aîné, s'esquivant avant de faire l'impertinent.
Un peu plus tôt, d'histoires en questions naïves, le sujet avait glissé vers l'âge du nain. La vérité ne lui ayant pas plu, le gamin crut d'abord à une farce, puis à une volonté résolue de ne pas répondre.
Ores, il commença à douter.
À son retour à Bree au début du siècle d'hui, on offrit à Thrond une cabine près de la porte donnant sur le Chemin Vert, en échange de ses services. Depuis les réserves en bout de champ, sur les terres avoisinantes chaque jour s'aventuraient quelques oreillards ou quelque daguet malvenu. Chez les Beaupré, puis chez leurs voisins, c'était à lui qu'il revint de les en chasser. Au fil des succès, la confiance s'installa.
Le meunier vint à quérir son assistance. Il était en trouble, des campagnols s'étant introduits chez lui menaçaient de ruiner son ouvrage et flétrir sa réputation au village. Habile, le nain vint tout en équipage, disposa de son dispositif, s'assit sur son séant, porta sa rebuth à ses lèvres et commença d'en jouer. Le lendemain, à son retour, quelque sorte de mulot peuplait quelques-uns de ses pièges. Le temps de s'en débarrasser que tout était déjà paré. Dans son coin, il joua quelques notes et s'en fut.
Le manège dura tant et tellement qu'un jour, le bonhomme Beaupré – encore enfant à l'époque – intercepta entre les planches comme une sorte de rituel. Comme il était chez lui et que de toute façon, la notion d'indiscrétion ne lui avait pas été inculquée encore, il resta planté là. Loin de lui l'idée d'intercéder, il s'affaira de tout retenir pour pouvoir rapporter ce secret de grande valeur : tel que dans les contes de la Chaumière du Jeu Perdu, le nain jouait une musique magique!
Bien qu'ailleurs, les secrets étaient faits pour être tus, à Bree tous venaient à se savoir. La petite Muguette avait été la première à l'apprendre. Pour faire son fin et se mériter ses yeux le temps d'un instant de plus, le gamin lui avait tout conté en prenant bien soin de mentionner jusqu'aux détails qui n'y étaient pas.* * *
Un jour où la petite le trouva pensif et l'instrument en main, elle vint s'assoir auprès du nain.
« Jouez pour moi! », lui demanda-t-elle avec toute la candeur du monde.
C'était la dernière fois qu'elle prêterait l'oreille au gars à Beaupré.
Une battue, une battue pour rabattre un louvart vorace hors des fermes du quartier nord, ce fut ce qui mena le nain à être connu davantage dans le pays. Cela se passa à la fin de l'année de son arrivée. Il s'était armé d'une torche et d'un épieu, et dans son sac en bandoulière, d'une moitié de saucisson sec. Les chasseurs parés, on sonna une turlute et battue il y eut. Les clochettes des chiens se mirent à tinter sur toute la ligne, les différents appels de leurs maîtres ponctuant le tout, et cela dura jusqu'au soir.
« Harloup! », entendit-on soudain.
Les chiens de s'exciter de plus belle et de donner de la voix, avec sur leurs traces leurs maîtres aux abois. Lentement, le courre alla jusqu'au couvert d'un sous-bois, les veneurs en quête semèrent les autres et le son des cloches et les clabauderies se perdirent par devant.
Thrond qui allait bon train par habitude et qui ne suivait que la lueur de la torche de ses voisins depuis qu'il comprit qu'il avait mésestimé la durée de la chasse finit par réaliser que ceux-là devaient avoir rebroussé chemin devant la situation. Il s'affaira de rallumer sa torche, usant de son briquet à silex. Soudain, il sentit un regard sur lui, entendant de surcroît quelque pas qui n'était pas sien. Brusquement, il leva fer et flamme devant lui. Son visage marqué de regret, il venait de poser les yeux sur un ours.* * *
Dans un grand fracas, un grondement lugubre et lointain fit lever les perdreaux environnants. Leur chasse ayant porté fruit, les hommes portèrent leur attention derrière eux.
Quand on le retrouva, Thrond avait transpercé la bête qui manqua de s'écrouler sur lui. Il était là, anhélant, debout et décousu, mais bien portant.* * *
À l'auberge, son rôle de conteur commença par ce combat contre l'ours et le secret de son corselet.
Quand Muguette le trouva là contant content, elle se dit bien que c'était là la deuxième dernière fois qu'elle prêterait l'oreille au gars à Beaupré.
Le bonhomme Beaupré venait tout juste de servir une pinte de sa liqueur préférée à Telgor, qui avait laissé s'échapper son habituelle finale donnant sur l'hui et l'hier son avis, que tonna un bougre ayant fait les frais du temps et dont la chair avait été ravie jusqu'à l'os. Les hôtes trouvés flanqués dans le duel s'ôtèrent et tournèrent leur attention à l'endroit de la riposte. Vouté qu'il était, il se permit deux traits de sa courte pipe, mâcha l'air par trois fois, se cala dans son siège et se lança.
« Aux nains les contes féériques! L'histoire que je m'en vais vous conter n'a rien de complaisant, mais écoutez-la bien car je ne la conterai pas deux fois. »
Alors qu'il donnait de la voix, le silence se fit.
« Mes amis, cette histoire, vous la connaissez, mais je la conterai ce soir, comme chaque année, peut-être pour la dernière fois avant de rejoindre nos aïeux, car –vous le savez– elle est porteuse d'une leçon qui vaut bien toutes les dépenses. »
Habile et habitué, il situa son auditoire quant au temps et au lieu, à la manière et aux circonstances.
Son récit parlait d'un jeune homme sur son carrosse, épuisé, aux prises avec une furieuse tempête, pris au dépourvu entre Staddel et Bree. Celui-ci se serait vu donner refuge chez un mystérieux homme dont il ne reconnut ni la tenure, ni la masure. L'habitant, au terme d'une longue attente, se serait révélé à lui comme étant le fantôme de feu Jean Pommerel, jadis nanti parmi les siens, qui aurait été maudit alors qu'il refusa l'asile à un voyageur qu'un dur hiver aurait tué sur le pas de sa porte. Un incendie l'eut emporté, lui, dans les jours suivants.
« En partance pour Mandos, il me remercia, sauveur sauvé qu'il se disait, car son ban fut levé lorsqu'il fit pour moi ce qu'il refusa à l'autre. »
Au moment de la chute, l'air était toujours immobile, avant qu'il y en ait un et un autre pour se sortir des pensées morbides qui les saisissaient.
D'aucuns tentaient à chaque fois de coincer le vieillard, or à tout coup il avait réponse.