Auteur : John Howe
 

Mâxan-Ithîr Xsungwë

Démarré par Gaun, 2010-05-07, 16:35:01

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Gaun

Mâxan-Ithîr Xsungwë

   
   D'immenses nuages noirs rougeoyaient au dessus des laves du mont Amrath, la fournaise du Mordor grondait dans la plaine de Gorgoroth où grouillaient les orques. Xsungwë venait d'arriver à la Tour, il contemplait le spectacle de mort qu'offrait le Noir Pays de son maître. Le maître, c'est ainsi qu'ils l'appelaient, les autres, même ses semblables. Comment ne pouvaient-ils pas comprendre ce qu'était réellement Sauron, comment pouvaient-ils croire les promesses d'un tel être? L'immortalité, ils bavaient tous devant ce vain dessein, les autres élus. Bien entendu, il était nouveau, et jeune qui plus est, l'un des plus jeune. Cela faisait en effet à peine plus de trois heures qu'il s'était fait "sacrer" Lieutenent de Barad-Dûr, à genoux devant l'Oeil et Bouche-de-Sauron. Mais tout cela ne l'avait pas perturbé pour autant, tout cela était prévu depuis bien longtemps, avant même sa naissance. Il portait sur sa situation ce même regard vide qui contemplait la plaine désolée s'étendant au pied de Lugburz. Il avait été préparé à ce jours pendant de nombreuses années, et à présent on attendrait de lui qu'il soit à la hauteur de la tâche qui lui était dévolue. Fixant le paysage de son habituel air absent, indifférent aux cris effroyables qui montaient des sous-sols, il revoyait tout ce qui l'avait amené à être lui, à être ici...

   ...La famille Telerian était une ancienne et importante famille à Umbar. La grande fierté des Telerian se trouvait dans la "pureté" de leur sang, qu'ils s'appliquaient à maintenir dans le meilleur état possible, ne se liant qu'avec d'autres familles partageant leurs idéaux et le culte de l'île de l'offrande. Mais vint un temps où une branche des Telerian se brisa lorsque deux de ses membres éminents partirent servir le grand Oeil, les frères Hircuîl et Mâxan Telerian. Cela se passa à la suite de l'assaut victorieux du Gondor sur la cité portuaire Umbar. Au Noir Pays les frères s'élevèrent parmi les hommes, au rang de lieutenants de Sauron, et partagèrent deux destinées très distinctes. Hircuîl resta auprès de son maître, devenant l'un de ses serviteurs les plus acharnés, tandis que Mâxan se vit confier une mission des plus particulière...

Ses pas l'avaient conduis, presque malgré lui, dans les sous-sols de la Tour. Cet immense labyrinthe de tunnels humides et crasseux était baigné dans une atmosphère infecte, nourrie par l'odeur des innombrables créatures qui y vivaient. Tout était tellement comme il se l'était toujours imaginé...

   ...Les années étaient passées, le clan avait fini par accepter l'étranger. Des voyages, des mois, des contacts, des alliances, des menaces, des promesses, beaucoup de promesses et tout autant de mensonges. Mâxan avait été envoyé à l'est pour trouver des hommes assez crédules pour se laisser berner par les belles paroles qu'il portait au nom de Sauron. Il avait mis du temps à trouver un clan digne de ce nom parmi toutes ces communautés nomades. Le lieutenant était donc parvenu bien plus à l'est qu'il ne l'avait envisagé, mais le clan était fort et le chef de guerre enclin à écouter ce qu'il avait à dire.
Ainsi gagna-t-il la confiance du clan, au fil du temps, jusqu'à ce qu'il lui fut offert la main de la fille du chef. Mei était belle, ses longs cheveux noirs étaient une nuit au sein de laquelle brillaient deux étoiles, grises et froides, mais d'une splendeur incomparable. A sa grande surprise Mâxan tomba amoureux, mais cela ne devait en rien changer son allégeance ni ses engagements...


Xsungwë s'arracha à la contemplation méditative d'un stalagmite couvert d'algues malodorantes. Il se retourna pour faire face à la foule d'orque qui s'était rassemblée derrière lui. Un véritable essain d'yeux jaunes se tenait à bonne distance, oscillant d'avant en arrière. Les orques l'avaient encerclé, ils aimaient à provoquer les nouveaux élus, à les tester, pour s'assurer qu'ils étaient aussi effroyables que les autres lieutenants. Soudain un immense troll émergea d'un des tunnel qui se trouvait de l'autre côté de la salle, traversant la marée d'orques à grandes enjambées, soufflant bruyamment, écrasant les quelques snagas qui n'arrivèrent pas à s'écarter à temps. Le colosse se planta devant Xsungwë qui était resté dos à la paroi. Des rires et autres gloussement emplirent la salle avant de s'enfuir dans les tunnel d'où revenait un écho déformé. Les orques, absolument ravis, s'agitaient en tout sens, faisant claquer leurs mâchoires ou frottant leur lame contre leurs crocs dans d'interminables crissements. Ainsi encouragé le troll leva lentement ses énormes poings au dessus de sa tête, s'apprêtant à les abattre sur le crâne de l'homme. Les orques retinrent leur souffle, seul quelques échos de leurs gloussements osaient perturber le silence tendu qui s'était installé. Ils ne voyaient rien sinon l'arrière train boursouflé et croûté de l'olog. Le monstre, toujours les bras en l'air, prêt à frapper, fit alors quelques pas en arrière, en titubant, avant de s'étaler de tout son long sur le sol de pierre dans un bruit sourd.
Stupéfaits, les orques ne comprenaient visiblement pas ce qui avait pu se passer. L'élu se tenait toujours là, ils voyaient bien sa silhouette droite à travers le nuage de poussière que le colosse avait soulevé. Xsungwë contourna les jambes, qui ressemblaient plus à de vieilles souches d'arbre, de la créature et se pencha sur elle au niveau de sa tête. Il caressait sa barbe d'une main, d'un air intéressé. Il n'avait même pas touché à son arme.
Une fois redressé il reporta son attention sur la foule d'orques qui le fixaient, la gueule grande ouverte, les bras pendant, aussi immobiles que des statues. Il fit un pas en avant et ce fut le chaos. Les orques se mirent à sauter en tout sens comme s'ils étaient montés sur ressorts, se bousculant vers les tunnels en hurlant "SORCELLERIE !!!", "SEIGNEUR !! PARDON !!".
Le regard vide de Xsungwë était posé sur eux tandis qu'ils se tortillaient les uns sur les autres pour s'enfuir dans les tunnels. Chacun d'eux avait certainement assez de force pour lui briser le cou en une seule étreinte. Malgré cela ils étaient faibles, leur esprit atrophié ne pouvait répondre à l'inexpliqué que par la peur. Les humains n'étaient pas si différents, après tout, ils ne voyaient que très peu de choses et enveloppaient du mot "magie" tous les phénomènes qu'ils ne comprenaient pas. Mais son père ne s'était jamais laissé duper...

   ..."Nous le servons car il est l'être le plus puissant qui soit sur les Terres du Milieu. Mais ne t'y trompes jamais, mon fils, il n'est pas un dieu, comment aurais-je pu le tromper sinon? Ses desseins sont motivés par la frustration et la jalousie. Très bientôt tu devras te rendre jusqu'à sa demeure, la grande tour de Barad-Dûr, dans son royaume de désolation. Auprès de lui tu t'élèvera parmi les hommes, tu étudiera les vieux livres et ton savoir te grandira. Le pouvoir est recherché par tous, et c'est dans ce but que nous nous alignons dans ses rangs. Car qu'il l'emporte sur les hommes de l'Ouest ou qu'il tombe face à ses ennemis, le monde qui nous restera fera appel à des hommes de pouvoir pour se construire."
Xsungwë était alors un homme bien bâti, officier des troupes du clan. Fils d'un élu du Mordor à qui on avait offert la fille du chef, formant ainsi une alliance durable dont il était l'incarnation vivante. Il était grand parmi les orientaux, tout comme son père; ses yeux gris, légèrement en amende, lui venaient de sa mère et ses cheveux de jais de ses deux parents à la fois.
Il était bien plus proche du clan que son père n'aurait jamais pu l'être, il était l'un d'eux, même son nom était formé des mots de ces régions. Cependant son père l'appelait Mâxan-Ithîr, car Xsungwë était destiné à mener le clan et ses alliés vers l'ouest pour épauler le grand chef Sauron dans la guerre qu'il préparait en secret.
Vint le temps où le jeune homme dû partir. Son père lui avait appris tout ce qu'il savait, l'avait préparé à affronter les horreurs du Noir Pays, à composer avec les être vils et sournois qui servaient l'Oeil. Et surtout il lui avait appris l'importance des mots, à ne se laisser abuser ni par les artifices ni les langues aiguisées...


Le jeune lieutenant était à présent seul dans la salle. L'énorme masse inanimée du troll, étalée derrière lui, avait l'air d'un gros rocher. Les hurlements des orques étaient bien loin désormais et il ne sortait plus des tunnels que les habituels sifflements des courants d'air. Le pouvoir n'était qu'une question d'apparence, il était aussi aisé de le gagner que de le perdre. Alors qu'il retournait dans les hauteurs de la Tour il croisa un autre élu qu'il avait déjà aperçu. Ce dernier le toisa longuement.
"J'avais une dette envers mon frère. Vous lui ferez savoir qu'elle a été payée." dit-il avant de s'effacer dans l'obscurité.
La plupart des lieutenants étaient comme celui-ci. Des serviteurs fanatiques de Sauron, des hommes aveuglés par leur désir d'immortalité, en adoration devant la puissance terrifiante de leur maître. Certains se livraient même à une lutte incohérente pour obtenir les faveurs de l'Oeil. Ils étaient pourtant intelligents, leur esprit était à la fois fort et totalement soumis à celui du maia déchu. Xsungwë, lui, était tout aussi fasciné par le pouvoir que ses semblables, mais il se serait bien passé de l'existence de Gorthaur une fois qu'il eût acquis le savoir des sombres bibliothèques de la tour. Le "maître" était une entrave à l'ascension. Sous son joug il n'y aurait que des vassaux, aussi puissants soient-ils.

En l'an 3014 Xsungwë fut renvoyé à l'est. Il était temps pour lui d'aller rassembler les orientaux. Cette tâche l'occupa quatre années. Il avait réussis à regrouper derrière lui plusieurs clans dont il avait fallut coordonner les hommes. Tout était donc prêt et ils attendirent la fin des récoltes pour entamer le long voyage vers le Mordor. Cependant tout ne se passa pas comme prévu et les troupes prirent du retard à cause d'une épidémie et de deux embuscades que des clans plus occidentaux leur tendirent. Les pertes n'étaient pas majeures mais les orientaux arrivèrent en vue du Mordor deux mois après la date prévue. L'appréhension de Xsungwë fut vite occultée par la vision qui s'offrait à lui à mesure que les hommes se rapprochaient du noir pays. Les épais nuages noir qui plongeaient d'ordinaire le Mordor dans des ténèbres éternelles semblaient s'être dilués dans le ciel. Mieux encore, ils croisèrent l'avant-poste le plus oriental du Mordor en le découvrant complètement déserté. Le lieutenant avait de la peine à croire ce que tout cela pouvait suggérer, il ordonna que la marche forcée soit plus poussée, il lui fallait le voir de ses propres yeux.
Les hommes débouchèrent enfin sur la plaine de Gorgoroth après avoir traversé le Mordor sans rencontrer aucun orque. Le mont Amrath se tenait là, crachotant  timidement quelques panaches de vapeurs toxiques, et face à lui un autre amas difforme se dégageait du sol cendré, les ruines fumantes de Barad-Dûr.
Le regard de Xsungwë se figea, il sentit en lui monter une vague d'énergie étrange, une émotion qu'il n'avait plus ressenti depuis bien longtemps, une sensation d'allégresse, il était libre. Tandis que ses hommes le pressaient de questions son esprit était noyé dans un torrent de pensées qui n'en finissaient plus de débiter. Bien entendu il savait déjà exactement quoi faire, il avait rêvé de ce moment à maints reprises et avait élaboré des plans. Mais il avait fait cela en sachant que ses réflexions seraient vaines car, selon toute vraisemblance, Sauron aurait du l'emporter face à ses ennemis divisés. A présent ses semblables devaient être morts ou en exil, réduits à néant sans leur emprise sur les orques. Un océan d'opportunités s'offrait à lui, les Terres du Milieu étaient désormais la propriété des hommes, et il reviendrait à des hommes de la gouverner.

Cependant il ne pouvait pas agir aussi vite qu'il l'aurait souhaité. Dans sa chute Sauron avait emporté avec lui le lien qu'il avait tissé avec ses lieutenants, cette part de pouvoir qu'il leur avait insufflé afin qu'ils puissent dominer les autres créatures du Mordor et les mener au combat. Xsungwë l'avait sans doute ressenti d'une certaine manière, sans vraiment s'en rendre compte. Cela était sans doute dû au fait qu'il n'était déjà plus tout à fait lié à son ancien maître. Ses officiers avaient cessé de le harceler de questions, sachant qu'il était toujours vain de tenter de tirer leur chef de ses rêves éveillés. Xsungwë était toujours comme tétanisé, son regard vide ne fixant pas les ruines, tout s'était passé il y avait un peu plus de deux ans...

...On avait demandé à le voir, deux anonymes souhaitaient le rencontrer. Pas tout à fait des anonymes, en fait, il savait qui ils étaient car il s'était attendu à les voir se présenter à lui depuis bien longtemps. La terrible voix résonnait encore dans sa tête, elle avait tonné à l'intérieur de son crâne comme un millier d'éclairs tout en restant parfaitement intelligible. Une voix désincarnée mais puissante, la voix de Gorthaur, alors même qu'il était encore à la Tour.
"Il y a à l'Est deux êtres qui pourraient se mettre en travers de ta route ou tenter de t'en détourner. Prends garde, lieutenant de Lugburz, ne leur laisse pas le temps de prononcer le moindre mot si tu viens à les rencontrer. Tue les mages bleus, si tu le peux."
C'était eux, il en était certain. Il n'était pourtant pas inquiet, il avait eu tout le temps de réfléchir à ce qu'il conviendrait de faire, son maître craignait les mages bleus.
Il savait déjà quels mots il faudrait prononcer, il achèterait une part de leur savoir et de leur pouvoir en promettant en échange de l'utiliser pour entraver les plans de Sauron.
Tout se passa comme il l'avait prédit. Allatar et Pallando étaient venus négocier sa loyauté.
Xsungwë conclut un pacte avec les istari dès qu'ils furent assurés qu'il était prêt à trahir son maître si l'occasion se présentait...

Les troupes s'en étaient retournée à l'est. Le Mordor était toujours en vue depuis le campement qu'ils avaient dressé dans la plaine. Dans sa tente, Xsungwë regardait l'étrange cicatrice qui marquait l'emplacement de son cœur. Sauron n'était plus mais l'oriental avait conservé tout son savoir, et grâce à ce qui se cachait sous sa chaire marquée, tout ce savoir n'était pas perdu.
Il ne retournerait pas dans son pays. Les istari, loin à l'est, finiraient par mettre un terme à ses ambitions. Il décida donc de rester à l'ouest, et il y en eu pour le suivre.
Ainsi débutait une nouvelle ère d'Ëa, l'âge des hommes. Et cet homme était bien décidé à y inscrire durablement son nom, lui, le Mâxân-Ithîr Xsungwë.
Gaun le nain, Grand Maître Mineur et Grand Maître Forgeron des Montagnes Bleues

Humain, Rôdeur

Morfirë, Lieutenant de Barad-Dûr