L'envol

[Jonus]

Honneur ...
Courage ...
Bravoure ...
A quoi bon ?... Se répétait-il agacé.

Ses deux mains posées sur les contours d'une bassine remplis d'eau, il contempla son visage dans le miroir fixé juste en face de son regard morbide.
Dégoûté de ce qu'il était devenu, il recula légèrement sa tête pour prendre un peu d'élan et la laissa retomber lourdement sur le miroir.
Il resta dans cette position quelques minutes.
Quelques gouttes de sang venaient gâcher la tranquillité de l'eau sous son visage, et la tiédeur coulant sur son nez ne fit que s'amplifier.

Alertée par le bruit du verre brisé, Mearia accourut, montant les escaliers de sa demeure deux par deux.
Qu'est ce qu'il se pass... Elle s'arrêta brusquement lorsqu'elle vit le visage de son époux grimaçant, relâchant des larmes qui venaient se mêler au sang déjà présent sur ses joues.
Qu'as tu fais ? Dit-elle sur un ton étrangement calme.

Il releva la tête doucement, et sans même se préoccuper de sa plaie, il se dirigea d'un pas nonchalant vers son lit sur lequel il finit par s'asseoir, les bras le long de ses jambes.
Soupirant de compréhension, la femme récupéra quelques lingettes dans un tiroir et vint s'asseoir auprès de lui. Elle lui épongea alors le front, le regardant grimacer de douleur.
Tu sais que depuis quelques temps, tu nous reviens plus cher en objet cassé qu'en nourriture ! Rétorqua-t-elle d'un ton ironique. Ce qui est plutôt rare venant de toi...

Après quelques secondes de silence, un léger sourire se dessina sur le visage de Jonus.
Tu es vraiment une femme bizarre Mearia, ... merveilleusement bizarre ! Après tant d'années passées avec toi à mes côtés, je ne sais toujours pas d'où tu peux sortir cette force !
Tu sais aussi bien que moi que mes jours sont comptés, mais tu ...
Elle l'interrompit en posant délicatement un doigt sur sa bouche.
Ne revenons pas la dessus s'il te plait..
Et voilà, encore une cicatrice de plus... Elle jeta le bandage ensanglanté et c'est alors qu'il lui prit la main.

J'ai peur Mearia. De toutes les batailles que j'ai vécu, celle-ci est la plus effrayante...
Elle surprit son mari avoir une lueur de peur dans son regard, alors fixé sur le sol à ses pieds.
Un ennemi invisible, dans un endroit que je ne connais pas, et que je ne peux pas combattre ... Il tourna son regard vers les yeux de sa compagne.
J'ai peur de mourir...

Au son du dernier mot, elle sentit un froid glacial lui passer dans la nuque. Elle reprit d'un ton peu convainquant :
Allons.. ne t'inquiète pas. Tu sais que Dol Amroth à demander l'aide de la maison de guérison de Minas Tirith pour tenter de te soigner. Les meilleurs médecins et alchimistes.. A son tour il l'arrêta.
Tu as raison ... je me fais du soucis pour rien.

Après un instant de silence qui paraissait interminable, Mearia ne put s'empêcher de se sortir de la chambre un instant, prétextant qu'elle avait laissé la viande sur la broche du feu.

Jonus s'allongea, une toux grasse venant interrompre le long silence de la chambre.
Il ferma les yeux et se mit à repenser à tout ce qui avait pu se passer dans sa vie, bon ou mauvais. Les erreurs, les hauts faits, les batailles, les amis ... A cette dernière pensée, il se mit à rigoler nerveusement.
Harken, Baradon, Elethor, Fanel, Ataron ... Durant toute sa vie il avait eu le chance de côtoyer les plus grands, mais que diraient-ils si ils le voyaient là, allongé de tout son long ... apeuré !
Lui, un des Chevaliers de Dol Amroth, au service du Prince Imrahil et du Gondor. Lui qui avait passé son existence à mener des hommes au combat, au devant d'immondes créatures et de barbares assoiffés de sang et de vengeance, avait peur de cette maladie qui allait le traîner sur son lit de mort sans qu'il ne puisse rien faire.

Il entre-ouvrit les yeux, et ces derniers se posèrent sur son fourreau, accroché au pied de son lit, laissant apparaître quelques reflets bleutés de sa lame.
A quoi bon... répéta-t-il, à quoi bon défier la mort toute sa vie en la regardant en face, dignement,  sans qu'elle nous prenne, pour qu'un jour elle nous attrape en traître, et nous traîne misérablement de l'autre côté...
Quelques jours plus tard, exténué, faible et malade, ses yeux ne se ré-ouvrirent plus et sa respiration, bien que difficile, ne se fit plus entendre.

Par ce beau matin ensoleillé, un cygne de plus s'envola vers de nouveaux horizons.