A Estelglîn

[Elsie]

Cher ami,

Une affaire délicate m'appelle à Linhir. Je vous en donnerai régulièrement des nouvelles. J'eus préféré vous faire mon rapport auparavant, mais vous êtes, selon les dires des guérisseurs, souvent fatigué. Je crois préférable d'attendre un peu avant d'entamer une discussion qui promet d'être longue. Et je tarde trop à m'occuper de ce à quoi je me suis engagée

Je vous ai cependant  laissé un résumé écrit de ce qui a précédé le dénouement durant lequel vous fûtes délivré. Par ailleurs, votre soeur, la demoiselle Silmirë, sera apte à vous aider à retrouver vos souvenirs perdus.

J'eus préféré pouvoir vous avoir à nouveau comme guide, afin que nous puissions enquêter de concert. Je ne perds pas espoir qu'une amélioration m'offre cette occasion. Prenez grand soin de vous.

Avec toute mon amitié,

Miya

Ainsi la jeune fille, tout en faisant son devoir, se donnait elle la possibilité d'un prudent éloignement.

[Baradon]

Le jeune chevalier, encore sous le coup de l'amnésie et durant un des brefs moments de lucidité entre deux longues siestes qui ponctuaient sa journée lut avec attention la missive de Miya. Une partie de lui ressentit une peine qu'il ne sut pas parfaitement expliquer de savoir la jeune femme au loin, une autre partie plus enfouie encore fut rassurée par cet éloignement. Décidément, sa vie antérieure à celle des maisons de guérison devait être bien tortueuse pour éprouver des sentiments à ce point contradictoires!

Il rédigea une note à l'attention de Miya qu'il fit dicter par un soigneur, étant lui-même encore trop faible pour tenir la plume:

Chère Miya,

J'ai bien pris connaissance de votre mot et je tâcherai de lire votre compte-rendu dès que j'aurai suffisamment repris de force pour le faire. Je comprends parfaitement les affaires qui vous appellent au loin et plus précisément sur les terres que vous avez jurée de protéger, tout comme moi, même si je ne m'en souviens plus.

Promettez-moi juste de prendre grand soin de vous dans la délicate mission qui semble vous échoir. J'espère avoir le plaisir de votre compagnie dans un futur proche, une fois que votre charge vous en laissera loisir.

Cordialement (Ici le texte a été gratté plusieurs fois avant de trouver le mot juste) Amicalement

Estelglin l'amnésique

Il avait vaguement conscience que sa note n'avait pas le ton officiel qui convenait mais il ne s'en souciait guère. Une fois ceci fait, il repartit aux pays des songes, pris d'une langueur incontrôlable.

[Elsie]

Cher ami,

Je suis arrivée à Linhir sans encombre. Je profite de la relative accalmie pour vous écrire et vous faire part de ce que je pense faire.

Pour résumer la situation, des paysans se soulèvent contre le Seigneur local et attaquent régulièrement la ville. Leur ire serait provoquée par des impôts trop élevés et par la mort d'un jeune homme  qui se serait opposé au paiement.

Je dois dire que le Seigneur Bran n'a guère ma sympathie, ne se montrant guère ému d'avoir à envoyer la garde contre ses propres administrés. Je suppose que celà ne veut rien dire. Mais constatant son manque de coopération et la méfiance qu'il manifeste à mon égard, je ne suis que fort peu portée à lui accorder la mienne. J'espère que votre mémoire s'améliore. Je ne vous cache pas que je risque d'avoir peut être besoin d'une personne dépositaire d'une plus haute autorité que la mienne, s'il me faut à un moment ou à un autre m'opposer à cet homme.

Je pense tenter de voir le chef des insurgés, histoire d'avoir plusieurs sons de cloches et si possible obtenir un arrêt des attaques sur Linhir. Pour le moment, j'étudie les cartes de la régions, histoires de voir quel lieu serait le plus propice à un repère de paysans frondeurs.

Je dois dire, mon ami, que je m'en veux un peu d'avoir du vous laisser un peu "en plan". J'attends avec impatience de vous revoir.

Votre écuyère et amie,

Miya

[Elsie]

Mon cher ami,

Cette lettre, je vous l'envoie au cas ou il m'arriverait quelque chose. La situation étant délicate, ma disparition éventuelle ne doit pas empêcher la résolution des problèmes qu'il y a à Linhir.

Bien sûr, le danger est notre lot. Mais je garde en moi l'impression confuse qu'il s'accroit autour de moi. J'ai un lieu de rendez vous pour voir le Sieur Danton. Celui ci refuse cependant que Dugan, le chevalier en poste à Linhir, responsable de la mort de son fils, soit présent au rendez vous. Ce qui se comprend. Je n'ai mis ni le Seigneur, dont je vous ai dit ce que j'en pensais, ni le dit chevalier au courant. Tout d'abord parce qu'il risquerait de vouloir s'imposer et faire ainsi échouer cette rencontre, et ensuite parce qu'une nouvelle fâcheuse m'est arrivée.

Il semblerait qu'il y ait bel et bien un lien entre cette révolte et Osilth, qui fut votre geolier. Ce dernier, semble t'il, avait un élève. Il serait derrière ces événements. Malheureusement, nous ne savons pas qui il est. Dugan est un suspect possible, hélas. Ainsi que le fameux Danton, même si ce n'est pas mon hypothèse préférée.

J'ai aussi des raisons aussi de penser qu'une personne inconnue en veut à ma vie. Tout celà me pousse à vous en dire le plus possible.  Ainsi pourriez vous, au besoin, prendre la relève sans trop de difficultés si votre état le permet, et, s'il ne le permet pas, choisir une personne de confiance pour vous y remplacer.

J'espère avoir l'occasion de vous réécrire. Si je le puis, je le ferai aussi souvent que nécessaire. J'espère que votre mémoire s'arrange. N'hésitez pas à me donner de vos nouvelles, car vous lire m'est un précieux réconfort qui atténue mes inquiétudes. Et vous savoir guéri serait une joie, après le souci que je me suis fait pour vous.
 
Vous excuserez l'expression maladroite de mon amitié qui n'a peut être rien à faire dans une missive faisant état de mon service, mais j'éprouve d'autant plus le besoin de vous la manifester que je me sens vraiment mal à l'aise. J'ai débuté cette lettre avec l'intuition que j'ai d'une sourde menace, et elle ne m'aura quittée que le temps de vous faire part d'un peu d'affection *le mot en remplace un autre qui fut soigneusement gratté*.

Votre écuyère et amie,

Miya

Miya manquait de recul pour juger de si sa lettre dépassait ou non les bornes de ce qui lui était permis. Sinon il était fort à parier qu'elle n'eut jamais écrit ce dernier paragraphe...

[Baradon]

Les crises se succédaient aux moments de lucidité et Estelglin lut donc les deux lettres envoyées par Miya, dans le même temps. Il s'inquiétait fortement pour elle et si ce n'était ses soigneurs, il serait parti sur place. Bien que le voyage lui fut interdit, l'envoi d'une missive lui fut accordée. Cette fois-ci, il put prendre la plume seul et c'est donc de sa main que ces mots furent tracés sur le parchemin:

Douce Miya,

Prenez grand soin de vous car je sens que le tempérament qui est le vôtre ainsi que votre sens du devoir et du sacrifice vous conduisent au devant de périls mortels, d'autant plus qu'il semble venir de l'intérieur. Je ne sais pourquoi cette pensée d'un chevalier corrompu m'emplit d'une profonde répulsion, je suppose que c'est mon ancien moi qui s'agite à cette pensée, mais je sais tout au moins que cela vous place dans un grave péril. Si je puis faire quoique ce soit pour vous prêter assistance, n'hésitez point à me le faire savoir. Je ne peux malheureusement pas quitter les maisons de guérison, les soigneurs étant de véritables geôliers et je ne me sens pas encore la force de leur fausser compagnie.

Sachez néanmoins que toutes mes pensées vous accompagnent et que le témoignage de votre amitié m'est un bien si précieux que je sers votre dernière missive contre mon coeur, telle une relique sacrée car c'est ce qu'elle est à mes yeux.

Tendres amitiés

Estelglin

[Elsie]

Elle fut un peu gênée de la missive. Voire beaucoup. Mais il devait être mis au courtant des derniers événements. Que ce serait difficile de lui parler s'il se montrait si...

Ne pas y penser. Ecrire. Voir après.

Cher ami,

J'ai bien reçu votre lettre. Je dois dire que les choses se sont un peu arrangées... Un peu seulement.

La bonne nouvelle est qu’il n’y aura plus d’attaque sur Linhir. Danton accepte de ne plus assiéger la ville. La mauvaise est qu’il considère toujours le Seigneur Bran de Linhir et son bras droit, le chevalier Dugan comme des ennemis. Je me soucie fort peu du sort d’un Seigneur qui n’a guère droit à mon estime. Mais cette conclusion qui n’en est pas une ne me satisfait pas. Je reste une servante de l’Ordre et de la Justice, les deux allant parfois de pair. Et si l’Ordre a été rétabli, il reste menacé. Ne parlons pas de la Justice car dans cette affaire, elle est effroyablement absente.

Aucun éclaircissement sur l'identité du traitre éventuel. Je ne sais pas encore si le fameux Dugan est impliqué. Mais plus j'avance, plus il me semble au moins fort peu fréquentable. Danton ne m'apparait pas comme un séïde d'Osilth. C'est un révoltés et ses actes passés sont discutables, mais il a clairement agi, et agit toujours, sous l'empire de la colère et du chagrin. Pas vraiment le profil d'un "génie du mal".

Je vous expliquerai tout cela dès que nous nous reverrons. Car en vérité, pour la suite de cette affaire, il n’est plus nécessaire que je reste à Linhir. Et cela me soulage. Je m’y suis rarement sentie aussi mal. Mon soulagement n’est que partiel. Et puis Eïlenel est à Minas Tirith dont les conseils me seraient utiles. J’ai en moi une grande colère dont il me faut trouver un moyen de me débarasser.

Oui je crois qu'il faut que nous discutions face à face, si votre état le permet. Après, je verrai comment apaiser mon âme. J'ai beaucoup à me faire pardonner de vous. Voire à expier.

Votre écuyère,

Miya