Auteur : John Howe
 

Expiation...

Démarré par Elsie, 2010-06-20, 13:28:45

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Elsie

Un guérisseur lui ayant indiqué que le jeune homme était en état de recevoir une visite, elle entra dans l'alcôve et la ferma en ramenant le voile épais bien contre le mur. Le guérisseur eut le tact d'éloigner ses confrères : Miya avait laissé entendre que la conversation serait confidentielle.

Les rideaux tamisaient une lumière chaude de fin d'après midi. Le lieu respirait la paix. Quel étrange endroit pour parler d'une affaire aussi sordide ! Dehors, sur la terrasse qui avait vu naitre une idylle demeurée célèbre, les clématites s'ouvraient. Leur parfum sauta au nez de la jeune fille. Sa mère était morte à la même époque, deux ans plus tôt. Cette pensée acheva de la déstabiliser. La violence de ces derniers mois lui avait fait oublier l'anniversaire de ce deuil. Elle s'en voulut.

Il s'était redressé, adossé au mur. Elle l'avait saluée avec une politesse qui se voulait distante mais qui cachait mal son émotion. Elle le trouvait particulièrement beau ainsi, dépouillé de cette raideur qu'il avait d'ordinaire. Pourvu qu'elle parvienne à tenir jusqu'au bout !

Elle lui fit son rapport. Elle ne lui cacha rien de la manière dont sa délivrance s'était déroulée. Elle lui parla également de l'insurrection, de comment elle avait été amenée à protéger la ville de Linhir contre des paysans désespérés et de comment l'épuisement, le doute, la colère et la douleur de le voir aux mains d'Osilth l'avait fait sortir de ses gonds au point de tuer deux hommes qui avaient manifesté leur désir de rester dans le camp de ce dernier.

Elle ne lui dit rien de ses sentiments envers lui. Mais elle sentait bien que quelque chose transparaissait dont elle espérait qu'il ne le verrait pas trop.

Elle lui expliqua aussi qu'elle se sentait faible, souillée par ses propres actes. Que même si elle n'avait pas eu le choix face aux insurgés, elle ne se pardonnait pas d'avoir exécuté les bandits sans autre forme de procès.  Qu'elle avait honte. Que, paradoxalement, elle n'avait jamais eu autant envie d'être chevalier mais qu'elle ne s'en était jamais sentie aussi loin. Qu'elle mettait entre ses mains toutes les décisions à prendre, y compris celle éventuelle, de la faire juger et condamner. Mais qu'elle désirait profondément expier. Qu'elle ne supportait pas l'idée de ne pas expier. Que rien n'aurait de sens, sinon...

Elle lui renouvela son allégeance. Mais lui dit qu'elle devait partir quelques temps. Elle lui jura sur la tombe de sa mère qu'elle reviendrait affronter les conséquences de ses actes. Il fallait juste qu'il le sache parce qu'elle ne pouvait partir sans l'en informer. Que d'ici là, il aurait, sans doute, retrouvé sa mémoire, son savoir, et qu'il saurait quoi faire d'elle.

Et pendant tout ce temps, tandis qu'elle lui manifestait sa honte, son chagrin et son entière obéissance, son âme bâillonnée tentait de lui hurler qu'elle l'aimait...
"Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."
Nelson Mandela. Un long chemin vers la liberté
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Eïlenel, fille de Yoni et  de Laegnaur Fizur
145 ans passés à faire suer son monde ^^...
Miya " Une lionne qui se met au service du cygne, ça l'fait ?"
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http://enpointilles.blogspot.com/

Elsie

#1
Les herbes avaient fini de jaunir sous le soleil du Lossarnach. A moins d'avoir atteint un âge respectable, on ne se souvenait pas d'une canicule pareille. Les rivières en avaient souffert. Les bêtes aussi. La soif régnait. La faim également.

Les végétaux ne vibraient d'aucun mouvement. Miya non plus. La jeune fille sentait bien que, depuis plusieurs jours, ses forces déclinaient dangereusement. Mais elle ne s'était accordé aucune grâce pour autant. Avant même de subir l'éventuel châtiment de son ordre, elle s'infligeait sa propre punition. Elle avait comme retrouvé le temps de son initiation. Quand elle avait appris ce que faim, soif et solitude signifiaient. Quand elle avait ressenti dans sa chair que donner la mort n'est pas un acte anodin, même quand il s'agit de se nourrir. Pour cela, elle s'était dépouillée de tout, ne gardant que son couteau. Un croc pour se défendre et chasser...

Les herbes frémissent enfin. Un daim ! Miya ne pourra plus chasser si elle échoue maintenant. Le vent est pour elle.  Elle s'avance prudemment, les courbes de ses jeunes muscles coulent, onctueuses, sous la peau. Lionne, être lionne. Serrer le couteau à s'en faire mal...

Encore trois pas... Et elle sera à portée.

Deux pas...

Un pas...

Partie !
Un coup de sabot l'envoie rouler au sol. Elle peste : Raté !

Mais il y a une tâche de sang dans l'herbe. Elle la suit. Au bord du fleuve la bête flageole sur ses jambes. Son regard est étrangement fixe. La peur n'est pas très différente chez la bête et chez l'homme. Miya s'arrête. Elle en a le cœur brisé, mais elle a faim.   

«  Allons, calme toi. Je vais tâcher de faire ça vite... Tu n'auras pas mal longtemps. »

L'animal tombe à genoux sur ses pattes de devant. L'écuyère  s'avance alors vivement, lui saisit les bois et lui tranche la jugulaire net. Elle ne prend que le temps de la mort complète de l'animal pour enfin découper un morceau de chair et se nourrir.

Le goût du sang, dans sa bouche lui rappelle quelques mauvais souvenirs. Mais elle se force à avaler.

Quelques heures plus tard, l'évidence lui sautera à la figure : Il lui faut revenir.
"Je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu'un d'autre de sa liberté. L'opprimé et l'oppresseur sont tous deux dépossédés de leur humanité."
Nelson Mandela. Un long chemin vers la liberté
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Eïlenel, fille de Yoni et  de Laegnaur Fizur
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Miya " Une lionne qui se met au service du cygne, ça l'fait ?"
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