Auteur : David Wyatt
 

Thralil

Démarré par Avrigney, 2014-02-10, 18:07:23

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Avrigney

   Est-il au monde choses préférables à une épaisse couverture de laine et un bon feu dans une cheminée? En particulier lorsque s'annonce le troisième jour de novembre et que l'hiver s'est permis une glaciale avance sur le calendrier.
   Si Thralil devait répondre à la question, ce serait « non », sans hésiter, car c'est précisément le jour qu'il choisit pour naître. L'événement se passa non loin de Bree et ceux qui connaissaient la famille purent s'en réjouir sans que la nouvelle n'allât plus loin.

   Thrali grandit et il y aurait bien peu à dire du jeune homme qu'il est devenu sinon que sa maladresse et sa naïveté sont à la mesure de sa taille, haute même parmi les siens. Mais même à cela, s'agissant d'un trait de famille, le garçon n'a aucun mérite.
   Une caractéristique, cependant, est digne de quelques lignes, ou devrais-je plutôt évoquer une propension à se mettre dans les pires situations et de s'en trouver sauvé par un coup de chance inespéré et bien souvent de dernière minute.

   Commençons par le récit de cette histoire qui se déroula lors de sa dixième année. Si jeune et pourtant féru déjà de champignons, Thralil était parti à la cueillette en forêt. Il en trouva bien vite un plein panier – mais peu expert était-il encore en la science de les reconnaître – de la pire espèce.
   Il les aurait rapporté à la maison où ses parents, criant à l'empoisonneur, s'en seraient bien vite débarrassés. Mais le destin voulu que ce jour il trouva un nid garni d'œufs. Transportant toujours un petit attirail de cuisine dans ses affaires, il préféra garder le tout pour sa seule gourmandise. Il alluma un feu et commença à faire cuire les présumés bolets puis ajouta les œufs. L'odeur était merveilleuse et le jeune Thralil sentait son ventre gargouiller d'aise à l'annonce du repas.
   La cuisson terminée, tandis qu'il approchait la première bouchée de ses lèvres il entendit un bruissement suivi d'un grognement. Il s'immobilisa et, médusé, il vit sortir des fourrés un énorme ours gourmand, attiré par l'odeur des œufs et des champignons réunis.
   Thralil en oublia sa poêle, ses œufs, ses champignons et même jusqu'à sa faim et prit ses jambes à son cou. Courant et trébuchant il maudit, jeune ingrat, la fortune qui venait de le sauver de son ignorance en le substituant à un plantigrade plus ignorant que lui encore si la chose était possible.

   Je ne compterai pas le nombre de fois ou le bougre manqua de perdre un membre ou même la vie et je me contenterai de relater une autre de ces mésaventures.

   Ayant acquis quelques années, il marchait sur le Chemin Vert en direction du Sud, et comme à son habitude, ce faisant il chantait (très) haut et (très) faux. Il ne remarqua aucunement, tapi dans les fourrés, un brigand qui une fois qu'il fut passé le prit en mire de son arc. Ce dernier était sur le point de libérer un trait mortel à cette distance lorsqu'un gourdin s'écrasa sur sa tête.
   L'individu qui venait d'assommer le brigand, et par là même de sauver Thralil, regarda le jeune homme s'éloigner en chantant joyeusement, sans rien savoir de la scène qui venait de se dérouler juste derrière lui.
   Quelle ne fut pas sa stupeur, mais aussi sa honte, quand à la maison son sauveur, qui était un proche ami de la famille, fit le récit de l'événement en faisant promettre à Thralil de ne plus chanter n'importe où et de se montrer vigilant. Promesse qui, il faut bien l'avouer, ne fut qu'à moitié tenue.

   Voici un bref portrait de ce jeune homme que vous venez de voir passer en trébuchant. Cependant, je vous prie de ne pas le juger trop prestement. Il est certes distrait et maladroit mais, veuillez m'en croire, je ne connais personne ayant meilleur cœur et qui soit plus prompt au rire, à la bonne humeur et à la générosité. Ce sont là des qualités que l'on mésestime trop souvent à mon goût. Je ne puis que lui souhaiter de les conserver intactes le plus longtemps possible.
Thralil le Dunadan