Auteur : John Howe
 

De la façon qu'un forgeron troque le marteau pour l'épée

Démarré par Ossuam, 2025-03-04, 02:56:44

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Ossuam

Le récit qui suit précède de plusieurs semaines les événements décrits dans le post L'Insoumise
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La dague s'enfonça au-dessus de la clavicule de l'homme et fût retirée aussitôt. D'abord, un mince filet de sang s'écoula de la déchirure, mais rapidement l'incision s'ouvrit en un gouffre pour laisser un torrent écarlate s'en extirper. Le visage de la victime se crispa d'agonie et sa bouche laissa échapper un cri de terreur qui résonna dans tout ce quartier animé de la cité. L'assaillant sentit la panique monter en lui. Cela ne se passait pas comme on lui avait expliqué. Il avait la certitude que son coup était fatal, le poison qui enduisait la lame allait s'en assurer. Mais le temps allait manquer pour le constater. Déjà, le son des bottes des gardes et le cliquetis des cottes de maille se faisaient de plus en plus audible. C'était le moment de la fuite. Non, cela ne se passait pas comme on lui avait expliqué.

Une charrette tirée par un cheval fit son entrée dans Umbar, après inspection de la Garde. Les tensions causées par le mouvement de rébellion rendait les autorités très nerveuses sur les allées et venues aux Portes de la Cité. L'homme qui menait la cargaison était vêtu de haillons et dégageait une forte odeur de sueur et de crasse. Il savait très bien s'orienter dans les rues pour avoir foulé leurs pavées si souvent. Sa marchandise, adressée à la Garde, était constituée d'armes et d'armures qu'il avait lui-même fabriqué. Il travaillait pour un homme d'affaire du nom de Ballantin. Celui-ci possédait un commerce d'armurerie ainsi qu'un autre de pelleterie. L'Intendant lui avait donné un contrat pour fournir une partie de l'équipement des Protecteurs de la Cité, et il s'en mettait plein les poches. Ballantin du Gondor. Ballantin l'Opportuniste.
Isilraen arrêta sa monture devant la caserne du quartier sud. Un homme en sorti et l'aida à décharger le contenu de la livraison, non sans démontrer un air de dégoût envers le marchand. Isilraen reprit ensuite la route vers la prochaine caserne. Il en avait pour l'après-midi...
Isil était plutôt indépendant dans son travail. Tout jeune, Ballantin l'avait pris sous son aile et l'avait instruit au métier de forgeron. Très vite, le jeune s'était démarqué et s'était développé un talent digne des plus grandes forges des territoires du Sud. Sa routine consistait à piocher la mine d'Umbar, fondre le minerai, fabriquer les commandes et les livrer chez les clients. Bien sûr, les livraisons lui faisaient perdre un temps fou, mais Ballantin s'en moquait. Celui-ci vivait grassement dans l'opulence alors qu'il sous-payait affreusement ses employés. Un autre Gondorien qui avait succombé aux mépris des populations locales. Car oui, Isilraen était bien natif d'Umbar.
Ayant terminé ses livraisons, il fit un détour dans une rue moins achalandée. Là, devant une maison à l'apparence banale, un natif l'attendait nonchalamment. C'est que Ballantin entretenait aussi avec la faction rebelle des contrats d'armement, ce qui lui assurait un maximum de profit dans ce conflit en ébullition. Isilraen cachait les outils de guerre sous la charrette et les apportaient discrètement à des points de rendez-vous qui changeaient d'une fois à l'autre. Les échanges se faisaient rapidement et en silence. Mais cette fois, le rebelle, répondant au nom de Crotale, lui adressa la parole :

« Je t'ai vu plusieurs fois dans les environs, à faire tes livraisons pour le compte de Ballantin. T'en a pas marre de te faire traiter comme ça? Tu te fais arnaquer par ton patron, ce Gondorien. Regarde toi, un esclave volontaire au service d'un homme qui vendrait sa mère, pour peu qu'il en tirerait un profit.
-Volontaire, dites-vous? Si seulement c'était aussi simple. Certains ont la malchance de naître dans des familles de mauvaise notoriété.
-Bon écoute, je te propose de te rendre ce soir au commerce du marchand d'arc du quartier est, 3h après le coucher du soleil. Tu frappes à la porte et tu demandes Crotale. Une réunion s'y tiendra qui pourrait t'intéresser, qui pourrait te permettre de corriger ton sort. Pas un mot à qui que ce soit, et tu as intérêt à faire acte de présence.»

La curiosité et un sentiment de colère envers sa situation le poussa donc à rejoindre le groupe de rebelle qui se réunissait en soirée. Il se présenta, et rapidement il devient le centre d'intérêt de l'assemblée. On lui offrit bières et liqueurs, il se laissa emporter par l'euphorie qui régnait dans ce lieu de conspiration. Un homme proposa à Isilraen de quitter son travail et de venir se loger chez lui le temps de se remettre sur pied. Un autre parla d'un autre artisan forgeron qui pourrait fournir des armes à la faction rebelle, advenant le cas que Ballantin ne puisse plus honorer ses contrats avec eux. Et soudain, une voix forte et enivrée se fit entendre au-dessus de l'assemblée.
«Et si on éliminait Ballantin? À mort cette vile crapule qui n'a pas de scrupules à jouer dans le dos de tout le monde. Il a le sang d'Umbar sur les mains. À mort Ballantin!»

Le propriétaire de l'endroit dû insister auprès des convives à diminuer le ton d'un cran afin de ne pas attirer l'attention à l'extérieur. Car à l'unisson, tous les rebelles crièrent "À mort" en faisant un vacarme qui allait à l'encontre de la discrétion qu'exigeait une telle entreprise de complot.
Assez rapidement, on proposa qu'Isilraen s'enquit de la tâche d'assassiner son patron, et une dague lui fut remise. Elle était enduite d'un poison mortel, récolté sur une créature des sables plus au sud. On lui expliqua où la plonger dans sa victime et comment s'en approcher discrètement. Isilraen était très nerveux à l'idée de commettre un meurtre, il n'avait jamais fait ça, et était horrifié de se retrouver dans les cachots sombres et humides d'Umbar. Mais c'était décidé, il devra le faire ou subir les représailles des conspirateurs.


Isilraen eu tout juste eu le temps d'aller chercher quelques effets personnels laissés au commerce de Ballantin. Il réussit à fuir Umbar en se faufilant par ses égouts. Mais cela  non sans avoir passé inaperçu. En effet, des gardes l'avaient clairement repérés et identifiés. L'exile était la seule solution pour le moment.
On s'était joué de lui, c'est ce qu'il déduisit à forces de réflexions. Les rebelles l'avaient manipulés afin d'éliminer un fournisseur d'équipements aux Gardes de la Cité en vue de nuire aux événements de soulèvement. La Garde s'approvisionnait chez d'autres forgerons, mais cela leur nuira un peu. Quant à leur propre approvisionnement clandestin, les rebelles étaient déjà bien équipés, et commençaient déjà à éveiller des soupçons avec le va-et-vient des livraisons. Isilraen était un pion dans un échiquier que l'on avait sacrifié pour une plus grande cause. Isilraen était déchiré par ses sentiments. D'une part, il s'était enfin affranchi d'un homme qui l'exploitait à travers son travail et le maintenait dans la peur de révéler son identité publiquement. Mais d'autre part, ceux qui l'avaient aidés s'étaient montrés finalement manipulateurs à leur tour. Si le peuple d'Umbar aspirait à retrouver leur souveraineté, était-ce pour retomber dans les mains de ces rebelles aux ambitions douteuses? Il avait entendu le nom d'une faction bien connue qui était au coeur de la révolution montante. Et il savait très bien où elle se terrait. Peut-être pourrait-il tenter de les rejoindre et clarifier leurs intentions, voire instiguer un changement idéologique? La fougue de la jeunesse bouillait en son âme, et il sentait le besoin d'agir.
Sans monture, il vagabonda pendant des semaines sur la route de l'Est, à la merci des brigands et autres créatures aux intentions malveillantes. Il dû se livrer à des ignominies et viles actions afin de garantir sa survie, mais leurs récits ne seront pas ici racontés. Lorsqu'il atteignit sa destination, Isilraen n'était plus qu'une pâle ombre de lui-même, un sale rebus lessivé par la mer qui aurait été rejeté sur la plage.

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L'homme chargé de la surveillance de la colline nord bordant le repère du Fléau des Steppes dessinait au sol d'une des extrémités de son arc des créatures légendaires, sans réellement savoir à quoi elles pouvaient bien ressembler. Puis il leva ses yeux sur la route qui se perdait vers le sud. Il ne le vit pas sur le coup, mais rapidement il dut venir à la conclusion qu'un être misérable avançait dans sa direction. Il grimpa sur sa monture, laissant le dessin inachevé d'un supposé dragon dans la poussière et partit à la rencontre de la loque qui se traînait sur la route. Arrivé à distance de voix, il somma l'intrus de s'immobiliser et de s'identifier, tout en bandant son arc. Le vagabond arrêta sa marche, leva la tête vers l'archer et dit d'une voix asséchée:
«Je désire rencontrer le chef du Fléau des Steppes.»
Après un rire méprisant, le guetteur relança:
«Pourquoi je t'accorderais cette faveur. Le seul service qui te serait bénéfique, c'est une de mes flèches plantée entre tes deux yeux.»
Le vagabond soupira: il était temps de rencontrer sa destinée et accepter son leg du passé. Il sortit de sa ceinture une vieille dague, qu'il leva en évidence au-dessus de sa tête, ce qui rendit son interlocuteur nerveux.
«Je suis Isilraen, arrière-petit-fils de Tylraen l'Érudit, Couturier des Lames de l'Ouest. Voici une dague qui lui a été fabriqué en guise de cadeau par les Lames. Je désire entrer dans l'ancien château-fort de mon ancêtre, et rencontrer le chef du Fléau des Steppes.»
3e âge
Aphraam l'errant
Tylraen le couturier, membre des Lames de l'Ouest
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4e âge
Isilraen d'Umbar