À Eranyel

[Vénal]

Eranyel,

Les nouvelles ne sont pas bonnes. Aussi, sois forte.
Sunjata est mort. Il a été tué dans Minas Tirith, et son agresseur s'est donné la mort par la suite. Il reste malgré tout considéré comme un traître, et il se peut très bien qu'il n'y ait ni cérémonie, ni sépulture. Reste à Annúminas. Il n'y a rien de bon à Minas Tirith ces temps-ci.
Pour ma part, tu ne me reverras sûrement pas. J'ai voulu nous donner du temps, j'ai espéré que tout n'était que passager, mais j'ai eu tort. La vie que je mène est dangereuse, mais c'est la seule qui me convienne, et je refuse de faire avec toi l'erreur que j'ai faite avec Tellan. Tu ne peux pas non-plus attendre éternellement que je rentre, alors que je ne suis jamais sûr de rentrer, et que ma première envie quand je rentre est de repartir. Tu mérites mieux.

Je suis désolé pour les peines que je t'ai causées, j'espère t'épargner celles à venir. Quant à toi, je ne doute pas que tu seras capable de trouver quelqu'un qui saura te rendre heureuse comme je n'ai pas été capable de le faire.

Prends soin de toi.

Beltaren

[Menelosil]

        Les rues se remplissaient tandis que les oiseaux des forêts alentours commençaient déjà leur concert. Annúminas venait de se réveiller. Rêveuse, Eranyel observait le défilé des nuages argentés tout en s'emmitouflant dans sa cape pour oublier un peu la fraîcheur matinale. Lorsqu'elle aperçut cet homme pressé s'avancer vers elle, une missive à la main, elle resta de marbre. L'inquiétude qu'elle avait connue dans ces moments-là avait fini par se dissiper.

   Et pourtant, cette sérénité s'envola bien vite. Ses yeux d'acier restèrent figés sur un mot qui lui traversa le coeur aussi vivement qu'une lame brûlante. Son esprit se remplit d'un seul coup d'images et de souvenirs divers, comme celui d'une fête qu'elle n'oublierait jamais. En lisant cette nouvelle, elle avait d'abord levé la tête, cherchant du regard la seule personne qui aurait pu la réconforter. Mais elle se ravisa bien vite et haussa les épaules.

   Son mal grandit considérablement lorsqu'elle termina la lettre. Malgré ses efforts, elle ne parvint pas à tenir le papier qui retomba doucement à ses pieds. Elle s'assit alors sur les marches et sentit à ce même instant les gouttes d'une pluie glacée dégringoler sur son visage. Depuis un moment elle sentait que leur histoire ne pouvait pas durer, que trop de choses les séparaient. La douleur n'en était pourtant que plus forte, car elle avait espéré qu'avec le temps il aurait fini par la comprendre, par accepter que malgré tout, elle était prête et décidée à affronter les dangers si cela lui permettait de vivre à ses côtés. Elle n'avait plus qu'à se rendre à l'évidence : il ne la connaissait pas vraiment. Et qui était-il pour penser à sa place ? Malgré sa peine, elle réussit quand même à esquisser un sourire amer. "Je mérite mieux.. murmura-t-elle pour elle-même. Tu aurais pu trouver autre chose."

   Un homme armé passa devant elle et continua nonchalamment sa ronde. Elle se souvint alors du casque qu'elle avait eu tant de mal à trouver. Un casque bien simple, mais qui signifiait tant de choses à ses yeux. C'était trop tard à présent. Qu'à cela ne tienne, elle le garderait pour elle.

   Elle devait faire quelque chose, elle ne pouvait plus continuer à se torturer l'esprit ainsi. Elle décida alors de lui répondre mais au moment de se lever, elle changea d'avis. Après tout, il n'avait pas eu la volonté ou le courage d'aller la voir directement, alors pourquoi devrait-elle encore y remédier ?

   Elle lui en voulait. Toutefois, elle se sentit en même temps libérée, car elle réalisa enfin que ses espoirs auraient été déçus. L'averse se fit soudain plus forte. D'un geste machinal, elle essuya la pluie qui venait inlassablement se mêler à ses larmes.